Le drive : une vision fermée de la distribution

Le drive a connu un développement remarquable ces dernières années pour atteindre 6 à 7% du chiffre d’affaires des distributeurs alimentaires. Pourtant, c’est un jeu de dupe qui a donné lieu à ce développement; on prête la formule à George Plassat: “en ne faisant pas de drive, on perd des parts de marché, quand en en faisant on perd de l’argent”. On remarquera d’ailleurs le peu de réactions quand le gouvernement a annoncé la régulation de l’implantation de nouveaux drives : c’est plutôt un 0uf! de soulagement qu’il fallait entendre. Or, si l’expansion du drive était une course aux parts de marché au détriment de la rentabilité, il a mis un besoin en évidence : certains consommateurs veulent faire leurs courses depuis chez eux. Le drive est-il la seule réponse possible à ce besoin ? Nous prétendons qu’il est surtout révélateur d’une vision fermée de la distribution.

Tout d’abord, rappelons que la France possède un solide réseau de distribution alimentaire: la FCD compte 11 000 points de vente hyper, super et Hard Discount, soit 1 pour 6 000 français environ. Et il faut bien voir l’énorme quantité de travail réalisée gratuitement par le consommateur dans ces magasins : il prend le produit pour le mettre dans son caddie, l’en ressort pour le passer en caisse, l’y remet pour aller à sa voiture, puis le sort de sa voiture pour l’emmener chez lui. Tout ce travail a un coût lorsqu’il faut préparer la commande pour le consommateur, soit à la main (Super U, Intermarché) soit dans des entrepôts dédiés partiellement ou totalement mécanisés (Leclerc, Auchan, Carrefour). En ce sens, tant que le processus de préparation de commande dans le drive n’est pas moins cher que les coûts évités (caissières…), le drive est moins rentable, à iso-prix, que le bon vieux magasin.

A ce titre, il est remarquable de voir que le drive n’est pas le concept le plus en vogue dans les autres pays pour permettre au client de préparer sa commande depuis chez soi. En Californie, InstaCart a mis au point un système astucieux de livreurs qui vont dans les magasins existants pour préparer des commandes. La préparation de commande reste gratuite pour les magasins, le livreur peut en visiter plusieurs pour le même client, et le client n’a pas besoin de se déplacer. La livraison reste payante (quelques $…), mais elle ne prend que 2 heures ! Instacart présente les assortiments produits de 3 chaines de magasins selon la localité du client, envoie un livreur faire le pick-up et vous livre en deux heures. Comparé au drive, Instacart est bénéfique au distributeur : pas de nouvel entrepôt (avec son stock…) ou d’embauche à faire, les magasins sont gagnants à tous les coups, ça n’est que du CA supplémentaire.

Pourquoi un tel système n’est-il pas disponible en France ? Simple : aucun distributeur ne partage son assortiment. Encore moins quand il s’agit d’être potentiellement comparé sur un site Internet. Espérons néanmoins que des magasins “raisonnables” tenteront l’expérience avec des acteurs indépendants. Car il ne peut s’agir de l’initiative isolée d’un seul distributeur : InstaCart par un distributeur sur une seule enseigne ne serait que du supermarché en ligne avec les coûts du drive, plus la livraison !

L’économie collaborative est une formidable force d’innovation servicielle. La Ruche Qui Dit Oui le montre tous les jours. Collaborer veut dire animer une communauté et s’ouvrir au monde. On lance le covoiturage pour les drives, qui enrichit le service du drive mais sans en réduire les coûts. Ne serait-il pas plus simple de faire comme Tesco en Angleterre, qui n’est pas particulièrement connu pour avoir une mauvaise stratégie, et commencer à ouvrir des API permettant de connaitre les produits vendus en magasin ? Quel commerçant a peur de montrer ce qu’il vend ?

Allez, messieurs les distributeurs: faites confiance à votre communauté de consommateurs pour améliorer votre part de marché. Une stratégie non collaborative et verticalement intégrée vous isolera fatalement de vos clients.